samedi 2 mai 2015

Le monde mythologique russe de Lise Gruel-Apert, paru chez Imago en 2014

 
« Dans le monde russe ancien, et plus largement russo-slave, le divin règne partout : dans le moindre brin d’herbe, la moindre parcelle de terre, le moindre morceau d’étoffe ou de pain… ». Cette phrase résume bien l’essai de Lise Gruel-Apert, qui nous transporte véritablement dans l’imaginaire singulier des croyances slaves. Nous découvrons ainsi une mythologie très différente, formellement, de celle de l’antiquité gréco-romaine, une mythologie quotidienne, omniprésente, ancrée dans la vie de tous les jours, liée au cycle des saisons et à la vie agricole.

Ressuscitant les dieux et cultes païens du Xe au XIIIe siècle, les morts impurs et les roussalki, mais aussi les sorcières, magiciens et guérisseuses, l’auteure s’appuie sur toutes les sources d’informations existantes. Aujourd’hui l’archéologie et les documents folkloriques et ethnographiques, complètent les informations contenues dans les chroniques, à l’instar des Chroniques de Nestor ou Récit des temps passés, et dans les sermons, qui ont longtemps constitué les principales sources d’information sur la mythologie slave. Les passages choisis de sermons dénonçant avec virulence les croyances « impies » et les commentaires de Lise Gruel-Apert sur la résistance des paysans face aux tentatives d’éradication des pratiques païennes par l’Église orthodoxe sont souvent drôles, mordants et rendent cet essai très vivant.

Lise Gruel-Apert nous transmet les recherches et collectes de spécialistes tels Propp, Zélénine, Rybakov, ou Afanassiev. La description des cultes et croyances liés à la nature et aux animaux, des fêtes et rites collectifs, de la démonologie, et le chapitre consacré aux figures surnaturelles et à l’au-delà dans les contes merveilleux, apportent de nombreuses clés de compréhension de la tradition orale russe. L’auteure nous signale par exemple une lecture possible pour le conte « La Fille-Roi », que l’on peut trouver dans les Contes populaires russes d’Afanassiev : la Fille-Roi endormie serait une allégorie de la Nature, de la terre Mère, et l’étreinte par le héros signifierait la renaissance de la nature au printemps. Lise Gruel-Apert commente de nombreux motifs et personnages des contes merveilleux, comme le « héros minable », le dragon ou le serpent, la Baba Yaga ou Kachtcheï l’Immortel.

Cet ouvrage est donc un bel outil pour qui s’intéresse aux contes russes, souvent étranges, difficiles à appréhender. Mais la lecture de cet essai n’enlève cependant rien à leur mystère, à leur beauté insolite, qui fait tout leur charme et leur poésie !

C’est aussi bien sûr un très bon prétexte pour lire ou relire les Contes populaires russes d’Afanassiev, traduits par Lise Gruel-Apert, aux éditions Imago… avant de venir les écouter pendant le festival EPOS du CLiO (Conservatoire contemporain de littérature orale) à Vendôme cet été ! Les conteuses professionnelles de l’atelier Fahrenheit 451 « Miroir du Merveilleux » vous les conteront en effet, après une année de travail, le vendredi 3 et dimanche 5 juillet 2015 !

Cette chronique est parue dans la rubrique "Les choix de Camille" de la lettre d'information du CLiO, vous pouvez lire mes autres chroniques, écrites pour le CLiO, ici : http://www.clio.org/centrededocumentation/leschoix/

Camille