vendredi 30 septembre 2016

La malédiction Grimm de Polly Shulman Bayard jeunesse, 2014



Résumé (quatrième de couverture) :

"Elizabeth peine à s'intégrer dans son lycée. Alors, quand son professeur d'histoire lui propose un petit job dans une bibliothèque elle se dit que ce sera l'occasion de faire des rencontres. Après un entretien pour le moins étrange, la voilà engagée. Elle s'aperçoit aussitôt que le Dépôt n'est pas une bibliothèque ordinaire : pas un seul livre à l'horizon, uniquement des objets. Mais surtout, un mystère plane au sujet d'une collection située au sous-sol et dont personne n'accepte de lui parler : la Collection Grimm. Elle abrite des objets de contes de fées - les bottes de sept lieues, le miroir de Blanche-Neige... Quelques-uns disparaissent, et un étrange oiseau géant rôde autour... Quel secret cache cette Collection Grimm qui semble déchaîner les passions "


Voici un roman de fantasy pour la jeunesse qui nous plonge avec talent dans le monde des bibliothèques, des objets et des contes. Choisissant le vocabulaire adéquat, l'auteure, qui a travaillé dans la bibliothèque publique de New York lorsqu'elle était lycéenne, transmet sa connaissance, son intérêt et sans doute son affection pour le métier de bibliothécaire, décrivant les échanges entre « usagers » (les visiteurs et emprunteurs) et « magasiniers » (le personnel chargé du prêt et du retour des documents en magasin), ou encore expliquant à sa jeune héroïne, par la bouche de son collègue Aaron, que « "balayer les rayons" signifie : "s'assurer que tous les objets sont bien à leur place" » (p.77). Avant même d'y faire pénétrer la magie, celle modifiant les lois naturelles de l'univers connu, Polly Shulman parvient à rendre le monde des bibliothèques magique au sens figuré du terme : attirant, étonnant et fascinant. D'abord par l'onirisme du lieu, qui semble selon Elizabeth être plus grand à l'intérieur qu'à extérieur, et dont les descriptions offrent au lecteur de belles images mentales transportant dans un lieu mystérieux. Puis l'énumération des innombrables objets de toutes sortes conservés au Dépôt, des objets les plus ordinaires aux intrigants Objets de la Collection Grimm, en passant par les Objets de Valeur du Rayonnage 2, objets historiques précieux, telle la perruque de Marie Antoinette.

Polly Shulman connaît également bien les contes, particulièrement ceux des frères Grimm qui résident au cœur de ce roman. L'auteure semble prendre grand plaisir à faire découvrir au lecteur ceux qui figurent parmi les moins connus du grand public, rappelant ainsi la richesse, la diversité de cette forme narrative et raillant légèrement ses versions lisses et aseptisées : « Imaginez Disney faire une version musicale de La jeune fille sans mains, où l’héroïne se fait couper les mains par son père devenu veuf quand elle refuse de l'épouser ! » (p. 11). Un renvoi en fin d'ouvrage détaille l'histoire des contes cités. Par le biais d'Elizabeth, l'auteure semble dévoiler son amour et sa perception des contes :

« En effet, la vie est injuste ; les méchants gagnent toujours et les bons meurent. Mais, dans les contes, j'aime comment, en général, les choses ne se terminent pas ainsi. Par exemple, lorsque la mère morte se transforme en arbre et continue à aider sa fille... Ou quand le garçon que tout le monde prend pour un idiot réussit à se montrer plus malin que le géant... 
Le mal existe dans ces histoires, mais le bien aussi, comme dans la vie. Certains prétendent que les contes de fées sont simplistes, manichéens ; or moi, je pense au contraire qu'ils sont complexes. C'est ça que j'adore. » (p. 13)
 
Cette complexité des contes pressentie par l'héroïne correspond bien à la notion de simplexité, c'est-à-dire « ce qui recourt à des processus d'une grande complexité pour un résultat élégant, rapide, efficace, optimal » (Patricia Lojkine, cours de Master 1 LIJE), terme généralisé par le spécialiste de l'évolution Alain Berthoz et utilisé notamment pour décrire le conte, son organisation, sa structure, son symbolisme, ses effets, par la chercheuse et enseignante Patricia Lojkine.

Viennent ensuite, bien sûr, les fameux objets magiques de la mystérieuse Collection Grimm... Bottes de sept lieux, miroir de la belle-mère de Blanche-neige ou encore Petite-table-soit-mise... Lequel emprunteriez-vous ? Que laisseriez-vous en caution pour l'emprunter ? Votre vue, votre odorat, votre beauté ou votre futur premier né ? La magie mise en œuvre dans ce récit par Polly Shulman fourmille de petites trouvailles efficaces, drôles et entraînantes.

L'aspect un peu décevant du roman réside selon moi dans l'intrigue elle-même qui n'est pas époustouflante d'originalité et surtout dans l'intrigue amoureuse, banale, légèrement téléphonée, entre les quatre protagonistes magasiniers : Elizabeth Rew, amoureuse de Marc Merritt, « le garçon le plus grand, le plus cool, et le meilleur ailier que votre équipe de basket-ball eût jamais connu (…) Bon, pour être honnête, je flashais sur lui » (p. 20), sa ravissante amie Anjali Rao, et l'odieux Aaron Rosendorn. Mais le côté sentimental du récit correspond cependant bien aux préoccupations adolescentes.

L'intérêt de ce roman mêlant aventure, initiation amoureuse et magie est plutôt cet amour communicatif pour les bibliothèques et les contes et sa dimension culturelle forte. Les objets y occupent une place privilégiée, que rappellent les dessins en haut de chaque nouveau chapitre, représentant des pièces de la collection accompagnés de leur description et de leur cote. Leur dimension fantasmagorique est parfaitement mise en lumière par l'illustration de couverture, réalisée par Kristjana S. Williams.

La Malédiction Grimm est le premier tome d'une série sur le Dépôt d'objets empruntables de la ville de New York. Deux autres tomes sont parus en France à ce jour : L'expédition H.G. Wells et Le cauchemar Edgar Poe. Polly Shulman a également publié La fille qui voulait être Jane Austen (Albin Michel 2010). La littérature et les auteurs semblent être là aussi au cœur de ces romans -que je n'ai pas encore lus - qui réactualisent des récits patrimoniaux, font revivre de grandes œuvres littéraires ou des personnages historiques et invitent le lecteur à partager le plaisir du jeu et de la connivence littéraires.