Résumé (quatrième de couverture) :
"Elizabeth
peine à s'intégrer dans son lycée. Alors, quand son professeur
d'histoire lui propose un petit job dans une bibliothèque elle se
dit que ce sera l'occasion de faire des rencontres. Après un
entretien pour le moins étrange, la voilà engagée. Elle s'aperçoit
aussitôt que le Dépôt n'est pas une bibliothèque ordinaire : pas
un seul livre à l'horizon, uniquement des objets. Mais surtout, un
mystère plane au sujet d'une collection située au sous-sol et dont
personne n'accepte de lui parler : la Collection Grimm. Elle abrite
des objets de contes de fées - les bottes de sept lieues, le miroir
de Blanche-Neige... Quelques-uns disparaissent, et un étrange oiseau
géant rôde autour... Quel secret cache cette Collection Grimm qui
semble déchaîner les passions "
Voici
un roman de fantasy pour la jeunesse qui nous plonge avec talent dans
le monde des bibliothèques, des objets et des contes. Choisissant le
vocabulaire adéquat, l'auteure, qui a travaillé dans la
bibliothèque publique de New York lorsqu'elle était lycéenne,
transmet sa connaissance, son intérêt et sans doute son affection
pour le métier de bibliothécaire, décrivant les échanges entre
« usagers » (les visiteurs et emprunteurs) et
« magasiniers » (le personnel chargé du prêt et du
retour des documents en magasin), ou encore expliquant à sa jeune
héroïne, par la bouche de son collègue Aaron, que « "balayer
les rayons" signifie :
"s'assurer que tous les
objets sont bien à leur place" »
(p.77). Avant même d'y faire pénétrer la magie, celle modifiant
les lois naturelles de l'univers connu, Polly Shulman parvient à
rendre le monde des bibliothèques magique au sens figuré du terme :
attirant, étonnant et fascinant. D'abord par l'onirisme du lieu, qui
semble selon Elizabeth être plus grand à l'intérieur qu'à
extérieur, et dont les descriptions offrent au lecteur de belles
images mentales transportant dans un lieu mystérieux. Puis
l'énumération des innombrables objets de toutes sortes conservés
au Dépôt, des objets les plus ordinaires aux intrigants Objets de
la Collection Grimm, en passant par les Objets de Valeur du Rayonnage
2, objets historiques précieux, telle la perruque de Marie
Antoinette.
Polly
Shulman connaît également bien les contes, particulièrement ceux
des frères Grimm qui résident au cœur de ce roman. L'auteure
semble prendre grand plaisir à faire découvrir au lecteur ceux
qui figurent parmi les moins connus du grand public, rappelant ainsi
la richesse, la diversité de cette forme narrative et raillant
légèrement ses versions lisses et aseptisées : « Imaginez
Disney faire une version musicale de La jeune fille sans mains,
où l’héroïne se fait couper les mains par son père devenu veuf
quand elle refuse de l'épouser ! » (p. 11). Un renvoi en
fin d'ouvrage détaille l'histoire des contes cités. Par le biais
d'Elizabeth, l'auteure semble dévoiler son amour et sa perception
des contes :
« En
effet, la vie est injuste ; les méchants gagnent toujours et
les bons meurent. Mais, dans les contes, j'aime comment, en général,
les choses ne se terminent pas ainsi. Par exemple, lorsque la mère
morte se transforme en arbre et continue à aider sa fille... Ou
quand le garçon que tout le monde prend pour un idiot réussit à se
montrer plus malin que le géant...
Le mal existe dans ces histoires,
mais le bien aussi, comme dans la vie. Certains prétendent que les
contes de fées sont simplistes, manichéens ; or moi, je pense
au contraire qu'ils sont complexes. C'est ça que j'adore. » (p. 13)
Cette
complexité des contes pressentie par l'héroïne correspond bien à
la notion de simplexité, c'est-à-dire
« ce qui
recourt à des processus d'une grande complexité pour un résultat
élégant, rapide, efficace, optimal » (Patricia Lojkine, cours
de Master 1 LIJE), terme généralisé par le
spécialiste de l'évolution Alain Berthoz et utilisé notamment pour
décrire le conte, son organisation, sa structure, son symbolisme,
ses effets, par la chercheuse et enseignante Patricia Lojkine.
Viennent
ensuite, bien sûr, les fameux objets magiques de la mystérieuse
Collection Grimm... Bottes de sept lieux, miroir de la belle-mère de
Blanche-neige ou encore Petite-table-soit-mise... Lequel
emprunteriez-vous ? Que laisseriez-vous en caution pour
l'emprunter ? Votre vue, votre odorat, votre beauté ou votre
futur premier né ? La magie mise en œuvre dans ce récit par
Polly Shulman fourmille de petites trouvailles efficaces, drôles et
entraînantes.
L'aspect
un peu décevant du roman réside selon moi dans l'intrigue elle-même
qui n'est pas époustouflante d'originalité et surtout dans
l'intrigue amoureuse, banale, légèrement téléphonée, entre les
quatre protagonistes magasiniers : Elizabeth Rew, amoureuse de
Marc Merritt, « le garçon le plus grand, le plus cool, et le
meilleur ailier que votre équipe de basket-ball eût jamais connu
(…) Bon, pour être honnête, je flashais sur lui » (p. 20),
sa ravissante amie Anjali Rao, et l'odieux Aaron Rosendorn. Mais le
côté sentimental du récit correspond cependant bien aux
préoccupations adolescentes.
L'intérêt
de ce roman mêlant aventure, initiation amoureuse et magie est
plutôt cet amour communicatif pour les bibliothèques et les contes
et sa dimension culturelle forte. Les objets y occupent une place
privilégiée, que rappellent les dessins en haut de chaque nouveau
chapitre, représentant des pièces de la collection accompagnés de
leur description et de leur cote. Leur dimension fantasmagorique est
parfaitement mise en lumière par l'illustration de couverture,
réalisée par Kristjana S. Williams.
La
Malédiction Grimm est le premier tome d'une série sur le Dépôt
d'objets empruntables de la ville de New York. Deux autres tomes sont
parus en France à ce jour : L'expédition H.G. Wells et
Le cauchemar Edgar Poe. Polly Shulman a également publié La
fille qui voulait être Jane Austen (Albin Michel 2010). La
littérature et les auteurs semblent être là aussi au cœur de ces
romans -que je n'ai pas encore lus - qui réactualisent des récits
patrimoniaux, font revivre de grandes œuvres littéraires ou des
personnages historiques et invitent le lecteur à partager le plaisir
du jeu et de la connivence littéraires.