vendredi 14 septembre 2018

Rentrée littéraire : Sophie Divry


C'est d'abord le titre, splendide et accrocheur, qui m'a interpellée parmi les quelques six cent romans parus ou à paraître en cette rentrée littéraire :



Trois fois la fin du monde



Joseph Kamal, jeune homme un peu paumé, est incarcéré pour avoir participé à un braquage. Son frère y a trouvé la mort, assassiné par des policiers. Joseph subit alors la violence des matons et des détenus, l'enfer de la prison décrit au fil de pages très dures, révoltantes. Puis survient une catastrophe nucléaire qui décime la population mais épargne une minorité, comme Joseph qui semble immunisé. Il s'évade de prison et se retrouve contraint de vivre dans la zone interdite. Commence alors la troisième partie du roman, la plus ample et la plus belle, celle de la Robinsonnade post-apocalyptique. Joseph découvre la liberté après l'enfermement, les joies de la solitude après l'enfer des autres, le bonheur de la vie en harmonie avec la nature. Mais aussi un vide incommensurable…

Si le sujet peut sembler déjà vu, l'approche est intelligente et le personnage touchant. Le point de vue de Joseph, avec son parlé de détenu, alterne avec le langage plus soutenu et poétique d'un narrateur extérieur, deux regards qui nous questionnent avec justesse sur les notions de solitude, de résilience, d'humanité.

Ce roman m'a plu, m'a émue et m'a travaillée plusieurs jours après sa lecture, mais mon véritable coup de cœur est un autre livre de Sophie Divry, découvert après Trois fois la fin du monde :

Quand le diable sortit de la salle de bain




Sophie Divry, dont je n'avais encore lu aucun livre, est apparemment une spécialiste du changement de style, proposant des romans étonnamment différents les uns des autres. Ces deux-là sont effectivement incomparables, tant au niveau du sujet que de la forme. Si son dernier roman est emprunt de gravité, de violence et de dureté (surtout dans la première partie), et que la narration y est classique, Quand le diable sortit de la salle de bain en est l'opposé : cocasse et inventif.

Nous suivons ici les déboires de Sophie, une chômeuse trentenaire qui peine à vivre de sa plume, s'enfonce dans la pauvreté et se retrouve le 20 du mois avec seulement 40 euros pour (sur)vivre. Tiraillée par la faim, Sophie nous livre le récit de ses galères et de ses tentations, à travers ses divagations littéraires foutraques. Mots-valises, figures de style hilarantes, interventions métafictionnelles de la narratrice-écrivaine ou encore jeu avec la typographie et la mise en page, Sophie Divry nous offre un récit d'une originalité littéraire réjouissante. Nous sommes prévenus de la tonalité du récit dès le sous-titre : « Roman improvisé, interruptif et pas sérieux » puis à nouveau par la dédicace « Aux improductifs, aux enfants, aux rêveurs, aux mangeurs de nouilles et aux « défaits », je dédie ce livre ».

Extrêmement drôle, d'une inventivité stylistique surprenante, voilà un roman qui parle pourtant de sujets importants. L'humour y est décapant et ravageur. Pour exemple, cette scène, dirais-je, Lewiscarrollienne, durant laquelle Sophie, se résignant finalement à vendre son grille-pain pour gagner quelques sous, entame avec lui (le grille-pain) un dialogue pastichant une tragédie de Racine :

«  Le grille-pain, comprenant son sort, s'accrocha en pleurant à sa prise électrique.
- Quel est mon crime ? Pourquoi m'assassiner ? Qu'ai-je fait ? A quel titre ? Qui te l'a dit ?- - Allons, bouilladit la bouilloire. Ne te mets pas dans un état pareil, tu vas te court-circuiter…
- C'est une félonie, c'est une trahison ! Voilà la rançon de tant de dévouement ! (...) "

Ou encore ses revendications contre les « lacunes » de la langue française :

« Il n'y a pas de mot pour dire « du samedi », par exemple, alors qu'il existe un adjectif pour dire « du dimanche », dominical. (…) Il n'y a pas de verbe pour dire qu'on a enfilé son vêtement à l'envers. On ne peut pas marquer une différence entre être mouillé par la pluie ou être mouillé par la neige. (…) Il serait temps d'inventer quelque chose pour remplacer l'expression lénifiante « J'ai commandé sur Internet ». (...)

Deux très bons romans donc, une écrivaine étonnante, à découvrir!


Trois fois la fin du monde, Sophie Divry, éditions Noir sur Blanc (Notabilia), 2018, 16 €.
Quand le diable sortit de la salle de bain, Sophie Divry, éditions Noir sur Blanc (Notabilia), 2015, 18 €.


mercredi 1 août 2018

Un polar dans la valise

Je ne lis pas trop de polar (c'est un euphémisme, je n'en lis pas du tout). J'ai voulu corriger cette lacune pour en chroniquer un, tout de même, dans le journal Le Petit Vendômois, et je n'ai pas été déçue! 

Voici ma chronique de cet été : 





Le 6 juin 1960, à l’Hôtel du Grand Cerf de Reugny, petit village des Ardennes, l’actrice allemande Rosa Gulingen est retrouvée morte, noyée dans sa baignoire. La police conclut à une mort accidentelle et classe l’affaire. Mais quarante ans plus tard, un producteur grand admirateur de la star oubliée du cinéma, persuadé qu’elle a été assassinée, envoie le journaliste Nicolas Tèque sur les lieux pour reprendre l’enquête. Au même moment, des meurtres sont commis à Reugny. Un douanier décapité ouvre le bal, suivi par la disparition d’une jeune fille, puis un autre assassinat… L’inspecteur Vertigo Kulbertus, à quinze jours de la retraite, est envoyé sur place pour enquêter.

L’entremêlement du passé et du présent, des enquêtes menées parallèlement par Vertigo Kulbertus et Nicolas Tèque, des destins et des secrets des personnages sont habilement orchestrés tout au long de ce polar haletant. 

L’humour noir est délicieux, grâce au personnage phénoménal de Vertigo, obèse gargantuesque, engloutissant des tonnes de frites et de cervelas et des litres de bière à longueur de journée. Cynique, vulgaire, répugnant et charismatique à la fois, il offense les suspects, les pousse à bout en utilisant des méthodes d’interrogatoires peu orthodoxes. 

Un personnage burlesque inoubliable, subtil derrière des apparences grossières, une intrigue bien ficelée et du suspense, un polar idéal pour une lecture d’été !

Hôtel du Grand Cerf de Franz Bartelt, éditions du Seuil, 2017, 20 €.

vendredi 1 juin 2018

Faites de la musique !



Aujourd'hui, Momoko passe une audition de piano et elle a le trac. Alors qu'elle patiente, angoissée, à l'arrière de la scène, une petite souris l'invite à la suivre. S’engouffrant par une porte minuscule, Momoko se retrouve alors dans une salle pleine de souris qui assistent elles-aussi à un spectacle ! 

L'ambiance est décontractée mais la petite souris, elle aussi, a peur de se tromper. Grâce à cette aventure, Momoko découvre la joie de jouer pour le plaisir partagé, le sien et celui des autres. 

Les illustrations magnifiques de cet album jeunesse, jouent avec les couleurs de manière significative : la robe rouge pourpre, rouge colère, rouge peur de Momoko tranche au milieu du fusain et l'apparition de touches de couleurs dans la salle des souris fait sens. 

Un album bienvenu pour aider les musiciens en herbe à affronter l'appréhension de jouer devant un public ! Mais surtout, une belle histoire universelle pour redonner à chacun confiance en soi, apprivoiser la peur d'être au centre des regards, et une célébration délicate de la puissance de l'imagination. 

Le récital de piano d'Akiko Miyakoshi, Kaléidoscope, 2017, 13 €.

Album à partir de 6 ans.

mardi 1 mai 2018

« Mai 68 fut une convergence, c'est comme si des milliers de petites rigoles avaient abouti au même point, formant un lac d'impatience qui ne pouvait que déborder »




Documentaires, récits, bandes dessinées, les publications sur Mai 68 fleurissent à l’occasion des cinquante ans de l'événement, reflétant le pluralisme des interprétations qu’il suscite. 

Un arbre en Mai de Jean-Christophe Bailly, publié au mois de janvier, bien en amont de cette vague éditoriale, dénote. Rédigé en 2004, ce court récit personnel, qui n’est ni un roman ni un texte historique, « cherche à atteindre […] l'air d'un temps soulevé par une tornade à la fois immense et légère. » Tirant le fil de ses souvenirs en un « archipel désordonné », Jean-Christophe Bailly nous entraîne à Nanterre où, étudiant de 19 ans, il oscillait entre romantisme révolutionnaire, militantisme discontinu, voyage au pays du rock’n’roll, écriture et poésie. 

A travers la métaphore de l'arbre, notamment les « arbres de mai » de la Révolution française, plantés en signe de liberté, Jean-Christophe Bailly propose une « visite » du passé et de la jeunesse. Une visite d'un arbre planté puis mort, l'essentiel étant finalement « d'avoir planté un arbre, ou plein de petits arbres qui devaient former une forêt frémissante à la surface d'un pays engoncé ». Il évoque l'étonnement de tous face à la rapidité à laquelle les événements se précipitèrent : 

« Nous n'en revenions pas, et c'est sans doute aussi pourquoi il fut si difficile, pendant longtemps, d'en revenir vraiment. » 

Un livre touchant qui éclaire avec délicatesse cet événement controversé. 

Un arbre en mai de Jean-Christophe Bailly, éditions du Seuil (Fiction & Cie), janvier 2018, 10 €.

mardi 3 avril 2018

Roman islandais


L’auteure islandaise Audur Ava Olafsdottir, découverte en France avec son roman Rosa Candida, a publié cet hiver un nouveau récit aussi étonnant que réconfortant. 

« Tu savais que l’homme est le seul animal à pleurer ? 
- Non, je l’ignorais. Je croyais que c’était le seul animal à rire. »








Jonas Ebeneser, 49 ans, passe son temps à bricoler, notamment pour les femmes de sa vie, les trois Gudrun : sa mère, son épouse et sa fille. Mais un jour, c’est lui qui aurait bien besoin d’être réparé, brisé par un secret longtemps gardé par sa femme. Jonas pense alors au suicide et décide de partir mettre fin à ses jours dans un pays en guerre. Il emmène tout de même sa caisse à outils et sa perceuse ainsi que les carnets intimes de ses vingt ans qu’il vient de retrouver… Là-bas, il trouve une chambre à louer dans un hôtel qui, comme les habitants qu’il rencontre au fil des jours, a besoin de sacrées réparations après les ravages de la guerre civile. 

En islandais, « ör » signifie « cicatrice ». Un titre parfait pour ce roman sur la réparation. « Se remet-on jamais d’être né » interroge l’un des personnages. Cicatrices physiques ou psychologiques, cicatrices de guerre ou cicatrice originelle, celle de notre naissance, nous vivons tous avec des cicatrices. 

Abordant un thème grave avec humour et sensibilité, par une écriture sobre, « Ör » est une ode à la vie. Truffé de petites phrases qu’on a envie de noter pour mémoire, comme des proverbes ou des condensés poétiques qui aident à vivre ou redonnent le sourire en quelques mots bien trouvés. Avec fantaisie, l'auteure sonde l’humanité grâce à des personnages attachants. Ce roman est une bouffée d’air frais, une consolation ! 

Ör d'Audur Ava Olafsdottir, traduit de l'islandais par Catherine Eyjólfsson, paru aux éditions Zulma en octobre 2017, 19 €.