dimanche 11 janvier 2015

Les défricheurs : voyage dans la France qui innove vraiment, d'Eric Dupin paru chez La Découverte en 2014


Quel est le point commun entre Acome et Scopelec, la Nef des fous, la Ferme des Amanins, Kokopelli, l'Accorderie, les écoles Montessori et Steiner, l'Université du Nous ou les Colibris? Pour Eric Dupin, ces initiatives ont été créées par ceux qu'il nomme les "défricheurs" : des citoyens qui "vivent en rupture avec les valeurs dominantes de notre société".

Eric Dupin est écrivain et journaliste (chroniqueur notamment au Monde diplomatique). Il a entrepris une enquête de terrain entre octobre 2012 et avril 2014, dans une dizaine de régions, auprès d'hommes et de femmes qui rejettent le consumérisme, la compétition, le productivisme. Face au pessimisme ambiant, ils ont décidé d'agir, d'expérimenter de nouvelles façons de vivre en société. L'auteur insiste sur le fait que toutes ces initiatives ne peuvent être mises dans le même sac, qu'il y a un gouffre entre les dissidents radicaux qui vivent en rupture presque totale avec la société, et les citoyens modérés qui tentent de proposer un modèle plus humain et plus respectueux de la nature sans se marginaliser pour autant. Il est difficile de citer toutes les expériences et personnalités qu'il présente dans son enquête. En voici quelques exemples : la vie en habitats atypiques, les éco-villages, éco-centres et éco-habitats partagés, l'alterentreprenariat, la social-économie et les coopératives, la nouvelle paysannerie bio, la biodynamie et l'agroforesterie, les monnaies locales et les systèmes d'échanges alternatifs, les pédagogies alternatives, les modes de prise de décision et de gouvernance alternatifs comme l'holacratie, la sociocratie, la démocratie participative ou directe, et encore bien d'autres initiatives écologiques, sociales et solidaires.

Tout au long du livre, Eric Dupin s'interroge sur ces alternatives locales : peuvent-elles conduire à un changement global de société en étant reproduites à grande échelle? C'est notamment la proposition de Pierre Rabhi au sein du mouvement Colibris (avec leur devise "faire sa part"), qui comptent sur les changements de comportements individuels. Eric Dupin n'est pas convaincu par cette stratégie de l'essaimage, il lui accorde une vertu d'exemplarité mais la pense utopiste : il montre que les défricheurs sont presque tous issus d'une classe moyenne, pas forcément argentée, mais ayant un haut niveau culturel. A partir de là, il imagine mal comment les classes populaires pourraient suivre ces exemples.

Eric Dupin explique aussi que la plupart des défricheurs rejettent la politique et que beaucoup prophétisent un écroulement catastrophique du système actuel. Selon lui cette pensée, ainsi que la possibilité d'une coexistance future de deux mondes parallèles, celui d'une élite éclairée vivant en marge de la société et celui d'une masse aliénée par le capitalisme, est très inquiétante. A son avis, le changement de société ne peut cependant se faire sans un combat politique, associé à une "transition citoyenne". Il faut "combiner visée radicale et méthode pragmatique", pour permettre des transformations personnelles et sociales.

Bien que je ne sois ni toujours d'accord avec son analyse ni convaincue par sa conclusion, cet essai a le mérite de mettre en lumière un vaste champ d'actions existantes et à inventer. Il ne s'agit pas d'un simple inventaire offrant une vision idyllique, idéalisée de cette mouvance. Eric Dupin se questionne et nous questionne pendant toute son enquête, à la fois critique et bienveillante. La somme des lieux et personnes qu'il a rencontrés étant impressionnante, leur présentation est forcément assez brève. Mais au lecteur curieux de poursuivre ensuite ses explorations en se renseignant plus précisément sur les démarches qui l'interpellent.

Camille



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