samedi 15 octobre 2016

Carnet du Pérou : Sur la route de Cuzco, de Fabcaro, paru aux éditions Six Pieds sous terre en 2013



 Attention à ne pas vous laisser berner par la quatrième de couverture si vous ne connaissez pas Fabcaro...  Prise au hasard dans les rayons d'une bibliothèque ou d'une librairie, cette bande dessinée ressemble à s'y méprendre à un carnet de voyage classique, et l'on peut facilement tomber dans le piège tendu par l'auteur à l'humour décalé et absurde, auquel les lecteurs ne seront pas tous réceptifs ! 
 
Adoptant et détournant les codes du carnet de voyage, Fabcaro raconte et croque avec talent un voyage au Pérou (qu'il n'a absolument jamais réalisé!), éculant les clichés du genre. Dessins encrés et aquarellés en bichromie imitent brillamment le style graphique du carnet de voyage que Fabcaro démonte avec fracas par des détournements et des blagues hilarantes. L'émerveillement niais du touriste arrivé à destination, avec la description des parfums ressentis dès la sortie de l'aéroport, le « sentiment de liberté incroyable », les citations philosophiques (« A quoi sert de voyager si tu t'emmènes avec toi ? Sénèque »), la petite touche humaniste avec les digressions sur la politique et la pauvreté, le sentiment naïf de rencontrer des habitants dotés d'une gentillesse et d'une joie de vivre (sur)naturelles... tous les ingrédients sont là pour dresser un portrait stéréotypé mais tellement vrai du voyageur béat, de ses platitudes, de ses phrases toute faites, usées et fatigantes de banalité :
« Il se dégage de cette scène une harmonie incroyable, un vrai partage comme il n'en existe que chez les gens proches de la terre. C'est très beau »
De retour au pays, l'incontournable «  Je ne serai plus jamais le même » porte la raillerie à son apogée. 
 
L’autodérision poussée à l'extrême et le cynisme grinçant caractéristiques de Fabcaro s'ajoutent à la dénonciation du folklore du voyage. Des pauses métafictionnelles mettent en abyme l'auteur en train de réaliser son carnet : interventions moqueuses et cinglantes de sa fille, échanges téléphoniques avec ses éditeurs, anecdotes , jusqu'à une information totalement hors sujet à propos de la sortie d'un nouvel album des Pixies...
 Bref, Fabcaro nous montre qu'il peut faire un carnet de voyage sans bouger de chez lui, en surfant sur le net et en farfouillant dans ses photos de famille ! Énorme canular par lequel il semble se moquer de tout sans âcreté, avec une grande légèreté : des lecteurs, des auteurs, mais surtout de lui-même et de ses remises en question façon « crise de la quarantaine », que l'on pourrait baptiser « crise du style » du dessinateur. Impossible après ce Carnet du Pérou de lire d'authentiques carnets de voyage avec sérieux sans repenser à cette parodie déjantée!

Si vous aimez cet humour un peu spécial, lisez aussi son dernier album, Zaï Zaï Zaï Zaï, dont on a beaucoup parlé (Grand Prix de la critique ACBD 2016/Angoulême) !


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire