Attention
à ne pas vous laisser berner par la quatrième de couverture si vous
ne connaissez pas Fabcaro... Prise au hasard dans les rayons
d'une bibliothèque ou d'une librairie, cette bande dessinée
ressemble à s'y méprendre à un carnet de voyage classique, et l'on
peut facilement tomber dans le piège tendu par l'auteur à l'humour
décalé et absurde, auquel les lecteurs ne seront pas tous
réceptifs !
Adoptant
et détournant les codes du carnet de voyage, Fabcaro raconte et
croque avec talent un voyage au Pérou (qu'il n'a absolument jamais
réalisé!), éculant les clichés du genre. Dessins encrés et
aquarellés en bichromie imitent brillamment le style graphique
du carnet de voyage que Fabcaro démonte avec fracas par des
détournements et des blagues hilarantes. L'émerveillement niais du
touriste arrivé à destination, avec la description des parfums
ressentis dès la sortie de l'aéroport, le « sentiment de
liberté incroyable », les citations philosophiques (« A
quoi sert de voyager si tu t'emmènes avec toi ? Sénèque »),
la petite touche humaniste avec les digressions sur la politique et
la pauvreté, le sentiment naïf de rencontrer des habitants dotés
d'une gentillesse et d'une joie de vivre (sur)naturelles... tous les
ingrédients sont là pour dresser un portrait stéréotypé mais
tellement vrai du voyageur béat, de ses platitudes, de ses phrases
toute faites, usées et fatigantes de banalité :
« Il
se dégage de cette scène une harmonie incroyable, un vrai partage
comme il n'en existe que chez les gens proches de la terre. C'est
très beau »
De
retour au pays, l'incontournable « Je ne serai plus jamais le
même » porte la raillerie à son apogée.
L’autodérision
poussée à l'extrême et le cynisme grinçant caractéristiques de
Fabcaro s'ajoutent à la dénonciation du folklore du voyage. Des
pauses métafictionnelles mettent en abyme l'auteur en train de
réaliser son carnet : interventions moqueuses et cinglantes de sa
fille, échanges téléphoniques avec ses éditeurs, anecdotes ,
jusqu'à une information totalement hors sujet à propos de la sortie
d'un nouvel album des Pixies...
Bref, Fabcaro nous montre qu'il peut
faire un carnet de voyage sans bouger de chez lui, en surfant sur le
net et en farfouillant dans ses photos de famille ! Énorme
canular par lequel il semble se moquer de tout sans âcreté, avec
une grande légèreté : des lecteurs, des auteurs, mais surtout
de lui-même et de ses remises en question façon « crise de la
quarantaine », que l'on pourrait baptiser « crise du
style » du dessinateur. Impossible après ce Carnet du Pérou
de lire d'authentiques carnets de voyage avec sérieux sans repenser
à cette parodie déjantée!
Si
vous aimez cet humour un peu spécial, lisez aussi son dernier album,
Zaï Zaï Zaï Zaï, dont on a beaucoup parlé (Grand Prix de
la critique ACBD 2016/Angoulême) !
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